vendredi, novembre 25, 2005

De l’importance du passé pour affronter les difficultés du quotidien.

. Voici ci-dessous les réflexions de Claude RIBBE, auteur de l’important ouvrage « Le Crime de Napoléon », (édition Privé, décembre 2005) sur la nécessité de réagir au négationnisme historique. La manifestation est prévue samedi 3 décembre, à 14h, Place Vauban à Paris (M° Varenne ou Saint-François-Xavier).
Pourquoi réagir aux prochaines commémorations de Napoléon ? Parce que si l’homme est mort depuis près de deux siècles, la légende est bien vivante, ce que prouvent assez les bicentenaires.
C’est le 2 décembre 2005 qu’une certaine France va encore nier l’histoire de plusieurs millions de Français.
C’est le 2 décembre 2005 que les ultramarins employés à la poste auront à distribuer, la tête basse, des lettres timbrées à l’effigie de l’homme qui a remis en esclavage, déporté et martyrisé leurs ancêtres.
C’est tous les jours que les enfants, à l’école, sont obligés d’apprendre que Napoléon est un modèle, alors qu’il n’est qu’un criminel aux termes de la loi du 10 mai 2001. C’est tous les jours que les ultramarins ont à affronter le racisme qui, s’il n’est pas l’explication de tous leurs problèmes, en occasionne du moins une bonne partie.
Le racisme n’est pas le propre de l’homme, c’est Napoléon qui l’a institutionnalisé en France. Et il vise au premier chef les ressortissants de l’outre-mer. Même cela, la France ne le reconnaît pas.
On veut nous expliquer que tout est fini depuis longtemps parce que l’esclavage a été aboli en 1848. Mais rien n’est fini tant que le racisme, produit de l’esclavage, n’est pas aboli, lui aussi. On ne l’abolira pas par décret, mais par un travail de mémoire qui suppose que la vérité soit dite et acceptée. Le racisme, nous n’en sommes pas sortis. Si l’on ne s’attaque pas à l’histoire du mal, on ne s’en débarrassera jamais.
Il faut donc que la vérité du passé apparaisse enfin pour que les problèmes contemporains se résolvent, mais aussi pour que les fautes du passé ne se reproduisent pas.
Le 2 décembre 2005, quatre cents jeunes Saint-Cyriens - nos officiers de demain - sont invités à glorifier officiellement Napoléon sur la place Vendôme, à Paris. Si on leur fait savoir dès aujourd’hui que Napoléon a commis des crimes contre les Antillais, ils y réfléchiront. Sinon, s’ils apprennent un jour que le grand homme a rétabli l’esclavage, qu’il a fait gazer des Français, qu’ils les a fait dévorer pas des chiens, mais qu’il est néanmoins un héros national, ne penseront-ils pas que la République pardonne certains crimes quand la couleur de peau des victimes n’est pas la même que celle des bourreaux ? Ne seront-ils pas tentés de les commettre à nouveau avec une garantie absolue d’impunité ?
Aujourd’hui, ce sont les banlieues de métropole qui se sont enflammées, mais si, un jour, c’étaient celles de l’outre-mer et qu’on y envoie l’armée - avec quelques uns de ces officiers qui étaient sur la place Vendôme le 2 décembre 2005 - ne serait-il pas utile que le précédent de 1802 soit connu, non seulement d’eux, mais de toute la population française ?
La confusion de certains ultramarins face à leur propre histoire - qu’on ne leur a jamais enseignée - montre bien qu’il y a une urgence extrême à s’attaquer à ce problème.
Quand on sait qu’en 1848, la République a alloué 126 millions de francs-or (quelques milliards d’euros d’aujourd’hui) non pas aux anciens esclaves pour les dédommager du crime dont ils avaient été les victimes, mais aux maîtres pour les indemniser de leur « spoliation », on comprend facilement que cinq générations n’ont pas suffi à combler le fossé qui sépare les descendants des maîtres de ceux des esclaves. Les uns sont chômeurs pour un quart, les autres ne se plaignent pas et sont bien représentés dans les médias, la politique, les affaires. Ils ne vivent pas dans les mêmes quartiers. Ils ne vont pas dans les mêmes écoles. Ils n’ont pas besoin de jouer au football, de danser ni de chanter pour qu’on les aime. Ils n’ont pas la même couleur. Ils sont restés les maîtres. Les maîtres de l’histoire. Ils imposent la version qui les arrange.
À force de voir les ultramarins indifférents à l’occultation du rétablissement de l’esclavage de 1802, on s‘attaque à présent à ce qui s’est passé avant, dans l’espoir de dédouaner les colons et les négriers de leur crimes. Quatre ans après la loi du 10 mai 2001, le révisionnisme - appuyé par un commando de mercenaires de l’université - s’est officiellement exprimé sous forme d’un article de loi glorifiant la colonisation !
Les difficultés économiques et sociales d’aujourd’hui ne peuvent être débloquées dans l’ignorance de ce qui s’est passé hier. Les gens qui ne savent pas d’où ils viennent et qui sont incapables de mesurer le chemin accompli peuvent-ils poursuivre ce chemin ? Peut-on trouver le bonheur dans l’amnésie ? Non, sans doute. Opposer un quotidien qui seul aurait une réalité à un passé qui serait sans intérêt, c’est se condamner non seulement à continuer à vivre dans des relations de mépris ou de haine vis-à-vis de tous les autres Français, ou de certains d’entre eux, mais c’est préparer, pour nos enfants, un avenir bien sombre. Peut-être plus tragique que beaucoup ne le pensent. Au début de 1802, les hommes, les femmes et les enfants de l’outre-mer étaient libres et citoyens français Tous les ans, le 4 février, ils commémoraient joyeusement l’abolition de l’esclavage intervenue huit ans plus tôt (sans indemnisation des colons). C’était fini, c’était le passé.
Jamais, ils n’auraient imaginé que cela puisse recommencer. Mais, l’inimaginable s’est produit. Deux cent cinquante mille Français ont été remis dans les chaînes par la force, sous le prétexte de la couleur de leur peau. Le code noir a été rétabli, aggravé. Cent mille résistants ont été massacrés. Ceux qui avaient réussi : les anciens députés, les anciens officiers, sont morts dans des camps de concentration. Cet exemple doit être médité. Car penser à ses ancêtres, c’est toujours penser à ses enfants.

Claude RIBBE

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