dimanche, novembre 20, 2005

Les Indiens caraïbes étaient-ils anthropophages ? part 3

C) La perception de l’anthropophagie dans les sociétés humaines

L'anthropophagie est ressentie comme une abomination au sein des sociétés «civilisées», et suscitant par là même une répulsion, un rejet absolu, bien qu’elle suscite une certaine curiosité malsaine. Considérée telle une ignominie caractérisée, l’acte le plus inconcevable et plus ignoble pouvant exister, parce que c’est un acte annihilant toute dignité, tout progrès et développement des communautés humaines. En tant que telle, l’anthropophagie renvoie à l’individu des réminiscences ataviques de comportements ancestraux, remontant à la genèse de l’humanité, dans ces âges insécuritaires où l’homme n’était qu’une proie pour l’homme, et où l’homme chassait l’homme pour s’en nourrir. C’est en cela qu’elle acquiert une dimension ontologique dans les schèmes de la pensée humaine, car être mangé par un autre, constitue la plus grande peur, la terreur absolue.

La pratique du cannibalisme est attestée dans de nombreuses parties du monde. On suppose que le phénomène remonte au Néolithique. Hérodote ainsi que d’autres auteurs de l’Antiquité décrivent quelques peuples qu’ils qualifient d’anthropophages, de même qu’au moyen Âge, Marco Polo rapporta que des tribus, du Tibet jusqu’à Sumatra, pratiquaient l’anthropophagie et de nos jours, il n’est pas rare qu’un fait de cannibalisme ou de sacrifice humain se déroulant en Afrique soit rapporté par les médias. Quelle est la véracité de ces témoignages? Nous n’en savons rien.

Quant à l’anthropophage, il est perçu soit comme un barbare, un primitif, un malade mental, un monstre ou un animal. Il est celui qui se situe en dehors de la culture, de la civilisation, incarnant l’homme primitif qui s’abandonne à tous les excès de sa nature déréglée, c’est l’individu qui est affecté de tous les dérèglements et de tous les vices. Quoi qu’il en soit, l’image de l’indien cannibale s’est diffusée sans discontinuité à travers les siècles, étant acceptée jusqu’à récemment par de nombreux anthropologues. Mais depuis, un certain nombre d’historiens, d’ethnologues et anthropologues admette, que l’anthropophagie des Caraïbes ne fut qu’un prétexte pour éliminer des indiens qui résistaient bec et ongles aux expéditions des nations européennes et une astuce afin de pouvoir les asservir (esclavagiser) car l’Eglise catholique permettait l’asservissement des peuples païens.

D) Les légitimations morales de l’infériorité des nations dites païennes
En effet, au XV e siècle, Tomaso Parentucelli ou Tomaso de Sarzana devenant en 1447 Pape sous le nom de Nicolas V, délivra le 8 janvier 1455, la bulle Romanus Pontifex au roi Alfonso V du Portugal: qui concédait à ce dernier la faculté pleine et entière d'attaquer, de conquérir, de vaincre, de réduire et de soumettre tous les sarrasins, païens et autres ennemis du Christ où qu'ils soient, avec leurs royaumes, duchés, principautés, domaines, propriétés, meubles et immeubles, tous les biens par eux détenus et possédés, de réduire leurs personnes en servitude perpétuelle (…) de s'attribuer et faire servir à usage et utilité ces dits royaumes, duchés, contrés, principautés, propriétés, possessions et biens de ces infidèles sarrasins et païens. Il est établi que cette bulle papale déclarait la guerre à tous les infidèles de la planète, sanctionnait et promouvait expressément la conquête, la colonisation et l'exploitation des nations non chrétiennes et de leurs territoires et à pratiquer le «juste commerce» des païens Noirs, en clair l’esclavage des nègres.

D’aucuns voient dans cette bulle le texte initiant (le monstrueux trafic, l’infâme commerce) l’esclavage des Nègres, préalablement, n’omettons pas qu’en 1441, des esclaves Noirs furent offerts au pape Eugène IV.

En 1493, le pape Alexandre VI délivra la bulle Inter Caetera au roi et à la reine d'Espagne, suite à la découverte de l’Amérique qui instituait l’emprise du catholicisme sur les îles et les terres nouvellement découvertes, elle invitait à soumettre les habitants indigènes et à revendiquer les «terres inoccupées» (terra nullius) ou les terres appartenant aux païens et permettait de réduire en esclavage tous les Amérindiens avec pour contrepartie de les nourrir et de les convertir au catholicisme et ce furent les Amérindiens qui serons les premiers esclaves des Européens sur ce continent: «Alonzo Pinzon fit enlever de vive force quatre hommes et deux jeunes filles qu’il garda comme esclaves.13» remarquons qu’il n’a pas eu besoin de la bulle papale pour se positionner au regard de l’histoire comme le premier esclavagiste du Nouveau Monde.

Fort de leur légitimation morale, les deux empires (portugais et espagnols) sous la contrainte ou l’égide du pape Alexandre VI se partageront le monde au traité de Tordesillas en 1494: «Ferdinand et Isabelle, par la grâce de Dieu, Roi et Reine de Castille, de Léon, d'Aragon, de Sicile, de Grenade, de Tolède, de Galice [...]. Ainsi, son altesse, le sérénissime Roi de Portugal, notre frère bien aimé, nous a dépêché ses ambassadeurs et mandataires [...] afin d'établir, de prendre acte et de se mettre d'accord avec nous [...] sur ce qui appartient à l'un et à l'autre de l'océan qu'il reste encore à découvrir. Leurs altesses souhaitent [...] que l'on trace et que l'on établisse sur ledit océan une frontière ou une ligne droite, de pôle à pôle, à savoir, du pôle arctique au pôle antarctique, qui soit située du nord au sud [...] à trois cent soixante-dix lieues des îles du Cap-Vert vers le ponant [...]; tout ce qui jusqu'alors a été découvert ou à l'avenir sera découvert par le Roi de Portugal et ses navires, îles et continent, depuis ladite ligne telle qu'établie ci-dessus, en se dirigeant vers le levant [...] appartiendra au Roi de Portugal et à ses successeurs [...]. Et ainsi, tout ce qui, îles et continent [...], est déjà découvert ou viendra à être découvert par les Roi et Reine de Castille et d'Aragon [...], depuis ladite ligne [...] en allant vers le couchant [...] appartiendra aux dits Roi et Reine de Castille [...]." » ce traité réglait les différends territoriaux des deux nations impliquées dans les Découvertes, il succédait au traité d’Alcoçavas de 1479 et à celui de Tolède de 1480, il sera confirmé et modifié par le pape Jules II. Les deux couronnes seront réunies sous le règne de Charles Quint. De même qu’à l’initiative de Las Casas, prenant la défense des indiens, qui furent dès l’établissement des Espagnols à Saint Domingue massacrés14, asservis, domestiqués, vus comme des animaux qui serviront de nourriture aux chiens des conquistadors ou dans des cas extrêmes aux conquistadors eux-mêmes15. L’indianophagie, dès le second voyage de Colomb, pointe le bout de son nez: «exposés à la faim. A vrai dire, ils en étaient arrivés à l’éprouver si cruellement que plusieurs avaient proposé de manger les Indiens à la façon des Caraïbes…16» L’empereur interdira l’esclavage des Indiens, sauf celui des Indiens anthropophages, d’où la nécessité économique pour les conquérants de se trouver des peuples anthropophages afin de perpétuer leur domination, leur colonisation et l’exploitation des mines aurifères et argentifères, puis des ressources agricoles (canne à sucre, café, indigo, coton, cacao, etc.) du Nouveau Monde.
Tony Mardaye

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