mardi, mai 11, 2010

En 1815, La Bonne Mère troque 355 esclaves

Repères

« Cinq nègres et deux négresses »

C'est un journal de traite, un document privé, on pourrait dire secret, propriété du seul armateur. Ce journal raconte dans le moindre détail la partie commerciale d'une expédition de 1815. Au fil de 27 pages de ce grand cahier parcheminé sont consignés, jour après jour, et avec une grande minutie, les trocs réalisés par le navire La Bonne Mère sur la côte de l'actuelle Guinée. Et la vente des esclaves aux Antilles.

Le 5 mai, le chef africain Besse Pepel remet ainsi « cinq nègres et deux négresses » contre quatre barils de poudre, dix barres de fer, trois parasols, des toiles indiennes, trois ancres, des chapeaux, des mouchoirs de Cholet, du plomb... Parti de Nantes en février, le bateau passe deux mois sur la côte africaine, achetant les esclaves par petits lots. Le capitaine va embarquer au total 355 esclaves. Il en vendra 340 car 15 d'entre eux meurent « de fièvre ataxique et de dysenterie », précise le chirurgien-major du bord.

Un capitaine de Paimboeuf

La Bonne Mère est construit à Nantes en 1802 pour l'armateur nantais Trottier, qui demeure dans l'Île Feydeau. Désarmé sous l'Empire, ce bateau de 350 tonneaux, mené par 35 hommes d'équipage, reprend du service en 1815 pour les armateurs nantais Salentin et Van Neunen. Le capitaine Leglé est originaire de Paimboeuf, l'avant-port de Nantes dans l'estuaire de la Loire. En septembre, le navire est saisi par les Anglais à Pointe-à-Pitre, précise l'universitaire Serge Daget dans son répertoire des expéditions négrières françaises entre 1814 et 1850. On ignore comment le journal de traite est arrivé jusqu'à nous. L'actuel propriétaire, qui vient de le confier à l'association nantaise Les Anneaux de la Mémoire, veut préserver son anonymat.

À propos de ce navire, Serge Daget écrivait : « On ne sait rien sur la traite. » Ce n'est plus le cas. L'historien Jean Breteau parle d'un document choc. « L'accumulation de détails révèle la totale maîtrise d'un commerce qui va encore prospérer, et même prendre de grandes proportions jusqu'en 1830, pendant ces années où la traite est illégale. L'extrême précision des comptes fait ressortir l'inhumanité et le crime de ce commerce. »

Une exposition à Paimboeuf

Le journal va être étudié par Eric Saugera, spécialiste de la traite nantaise et bordelaise. Puis son contenu sera présenté et mis en perspective, cet été, à Paimboeuf (à partir du 18 juin sur le port). Il se trouve que l'association Les Anneaux de la Mémoire préparait une exposition consacrée au passé négrier de l'ancien avant-port nantais. « Ce journal, en lien avec Nantes et Paimboeuf, est un formidable cadeau », note Jean Breteau.

L'association a joué un rôle pionnier dans la connaissance, par le grand public, du passé négrier de Nantes. Depuis elle continue son travail de recherche et de vulgarisation. Et développe des liens avec les pays concernés en Afrique et aux Amériques. Ce travail, depuis vingt ans, explique sans doute que ce soit aux Anneaux de la Mémoire que le propriétaire a confié le précieux journal.


Marc LE DUC.

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