jeudi, août 25, 2011

PROBLEMATIQUE DE LA VALEUR DE LA VIE HUMAINE DANS NOS SOCIETES AUJOURD’HUI


La fiction intellectuelle, savamment entretenue par les adeptes de l’anthropologie politique selon laquelle les sociétés africaines précoloniales étaient basées sur la violence, avec son corollaire de guerres fratricides et d’anarchie a fait son temps. Les travaux des historiens, des philosophes, des linguistes comme C. Anta Diop, E. Mveng et autres Th. Obenga ont définitivement brisé ce mythe. On croyait à jamais tournée la page allégorique de scènes de vie humaine désacralisée en Afrique telle que façonnée et diffusée par les impérialistes dans leur dessein flagrant et navrant de justifier les crimes coloniaux.

Et pourtant, le spectacle désolant de nos rues avec des vindictes populaires, des personnes du troisième age violentées, des bébés jetés dans la poubelle, le tout dans une indifférence complice, heurte la conscience et nous imposent des interrogations. Quelle valeur attribuait-on à la vie humaine en Afrique traditionnelle ? Quelles sont la raison et les manifestations de la dérive actuelle ? Comment y remédier ?


I- La vie humaine en Afrique traditionnelle.


Si l’Afrique noire précoloniale se caractérisait par sa diversité, la civilisation négro-aficaine, dans ses principes, était unique et spécifique. En effet, qu’elle soit patrilinéaire ou matrilinéaire, la société africaine traditionnelle avait pour socle la famille. Toute la vie sociale était fondée sur elle et concourait à la consolider. Le mariage traditionnel, virilocal, uxorilocal ou avec résidence indifférenciée, visait la procréation et par conséquent, la consolidation de la famille étendue. Dans ce contexte, il va de soit que tout membre du groupe était important. Du moment où de multiples alliances étaient nouées dans le but d’agrandir le clan, il est aberrant de croire qu’au même moment, ce

clan s’autodétruisait du fait de la violence gratuite. Le pacte de sang, l’alliance matrimoniale entre protagonistes de guerre, le mariage préférentiel et autre adoption sont autant d’illustrations de la volonté des Africains de consolider et pérenniser le groupe. Aussi curieux que cela puisse paraître, l’alliance matrimoniale entre vainqueurs et vaincus ne signifiait aucunement, pour ces derniers, aller à canossa. Il s’agissait pour les deux parties de mettre un terme aux rivalités et s’assurer mutuellement sécurité et protection.

En outre, le crime du sang, sacrilège absolu, était puni avec une extrême sévérité. Cette punition pouvait aller de la loi du talion aux rites expiatoires comme le Nso ou Tso chez les Africains de la forêt. De même, la naissance était fêtée contrairement aux pleurs et lamentations qui accompagnaient toujours le décès dans le groupe. Cette logique de conservation, teintée du désir d’éternité, ne saurait être perçu comme une volonté égoïste de s’accrocher à la vie. Il faut y voir, évidemment, la sacralisation de la vie humaine en Afrique traditionnelle. Par opposition à la théorie marxiste de la primauté de la société sur l’être humain isolé, l’idée des « morts qui ne sont pas morts » en Afrique précoloniale, un peu comme la doctrine pythagoricienne et orphique de l’âme, valorise l’homme individuellement. Du moment où « ceux qui sont morts ne sont jamais partis » comme le dit si bien Birago Diop, il est évident que l’inanité du crime n’est plus à démontrer dans les sociétés africaines d’autrefois.


II- Les atteintes à la vie humaine aujourd’hui.


Un peu partout en Afrique subsaharienne, des scènes banales de crime ne sont plus à compter mais à ranger dans les registres macabres des faits divers. Un corps en putréfaction côtoie un autre brûlé et calciné suite à la justice populaire dans une indifférence qui frise la pathologie. Dans une rue voisine, une vielle femme, visiblement amnésique suite à un début de parkinson, égarée et réfugiée sous une véranda est battue à mort par une foule en furie, soit disant qu’elle serait tombée d’un « avion de nuit ». A l’esplanade d’un poste de sécurité attenant, une autre horde de badauds suit, perplexe et surchauffée des mineurs, parfois en très bas age, étranges convives, débiter leurs fantasmes et chimères en décrivant en « détails » des orgies dont le menu principal est la chair humaine et le cuisinier un ou une septuagénaire sans défense. Au même moment, des innocents croupissent dans la cellule de ce même poste de sécurité, gisant dans leurs matières fécales et rongés par des vermines.

Ces scènes incroyables et insoutenables ailleurs sont ce qu’il y a de normal et banal dans des pays africains. Cette banalisation du crime est devenu le lot quotidien du commun des citoyens en Afrique aujourd’hui.

La raison fondamentale de cette sublimation du crime, plus grave, cette négation de toute valeur à la vie humaine vient de la désacralisation de celle-ci au profit du matériel. Poser le bien matériel comme une fin et la vie humaine comme un simple moyen serait concevoir le monde à l’envers. Il y a d’autres raisons. La superstition et la corruption dans les structures répressives et judiciaires viennent fermer la boucle infernale de cette régression de l’humanité.


III- Des esquisses de solutions



Pour revaloriser la vie humaine en Afrique, les structures du crime doivent être démantelées urgemment. Les bandes de criminels, parfois insoupçonnés, qui écument nos rues doivent être punis sévèrement, en les identifiant par l’image par exemple. La corruption, le trafic d’influence et l’abus d’autorité dans nos structures répressives et juridictions doivent cesser. Le commun des citoyens doit être traité humainement quelles que soient les circonstances. La culture de la paix et la valorisation de la vie humaine doivent intégrer les structures de socialisation comme la famille, l’école, la mosquée, l’église…Certes, la bastonnade et les traitements inhumains sont interdits dans le milieu scolaire. Mais des poches de résistance demeurent. Par le biais de la législation, ces interdictions sont à étendre sur toute la société. En clair, il faut pénaliser la violence physique quelle que soit son origine. Des dispositions absurdes qui répriment des faits que l’on ne peut prouver sont à extirper de nos arsenaux juridiques. La sorcellerie par exemple, du moment où il n’est pas évident de la prouver devient un simple prétexte pour les criminels pour entrer en action. Il est prouvé que ces derniers profitent des situations de délits pour se faire justice.

Enfin, les cours de Morale avec des leçons sur des notions telles que les droits de l’homme, la peine de mort, la finalité de la vie…sont à introduire rapidement dans les programmes scolaires en Afrique.


En définitive, nous disons que la violence n’est pas traditionnellement associable à la société africaine. Les raisons qui ont poussé les Africains à sublimer les biens matériels et banaliser le crime sont postérieures à la conquête coloniale. Aujourd’hui, les criminels ont pignon sur rue dans nos cités. Ils dictent la loi et cherchent à prendre nos sociétés en otage. Les pouvoirs publics, les défenseurs de droits de l’homme, la société civile et toutes les bonnes volontés doivent se mobiliser pour les ramener à la raison. Il faut s’attendre à une grave régression de l’humanité si cette lézarde n’est pas rapidement cousue.



Ali Mohamed Ouba

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