vendredi, octobre 25, 2013

25 OCTOBRE 1983: GRENADE, UNE INVASION POUR L’EXEMPLE


« Le coup d’État qui a précédé de quelques jours le débarquement américain, s’est traduit par l’élimination physique du leader le plus populaire, Bishop, créant ainsi une situation favorable pour l’intervention américaine. La population ne pouvait qu’être désorientée par l’assassinat de Bishop par l’armée, au lendemain même où elle lui avait montré sa confiance ou sa sympathie en le délivrant et en manifestant avec lui dans la rue massivement. Cette population en grande majorité était très méfiante vis-à-vis des nouvelles autorités, et la mobilisation populaire contre les troupes américaines était rendue d’autant plus difficile. D’autre part Reagan prenant le prétexte du coup d’État a pu ainsi se justifier vis-à-vis de l’opinion publique mondiale en prétendant intervenir pour rétablir la démocratie.

Bishop était au pouvoir depuis le printemps 1979. Il s’en était emparé à l’aide d’un commando d’une douzaine de compagnons, profitant de l’absence du chef de l’État en titre, Gairy. Ce dernier s’était transmué d’ancien syndicaliste en un dictateur corrompu et faisait régner son ordre à l’aide de sa police, « les Mangoustes » qui, à l’image des « Tontons Macoutes » de Duvalier en Haïti, lui permettait d’utiliser à sa guise les ressources du pays c’est-à-dire en grande partie à accroître sa richesse personnelle.

La venue au pouvoir de Bishop n’a pas été le résultat d’une mobilisation populaire, mais celle d’un coup de main. Elle fut cependant applaudie par la population de Grenade et Bishop est devenu très populaire. Ce n’est pas pour autant que le nouveau pouvoir ait été mis sous le contrôle des masses, ni que l’armée ait été dissoute. C’est d’ailleurs dans cette dernière que se sont recrutés les assassins de Bishop. L’essentiel de l’action de Bishop et de son équipe a consisté à essayer d’éliminer la corruption et à mettre l’accent sur la gratuité de l’éducation, l’alphabétisation de la population, la gratuité des soins et l’amélioration des services de santé. Et dans un premier temps au moins il avait réussi à mobiliser une fraction de la jeunesse pour la réalisation de ces tâches bénévoles. Tels étaient les traits essentiels de ce qui a été baptisé « la révolution » à Grenade.

Restait que Grenade prenait l’air, après Cuba et le Nicaragua, du troisième État « marxiste » dans la région. Bishop lui-même le présentait ainsi.

Pourtant Bishop cherchait un accommodement avec les États-Unis. L’été dernier encore, il avait fait antichambre à Washington pour n’être finalement reçu que par un conseiller de Reagan, et sans avoir réussi en rien à infléchir l’attitude des dirigeants américains.

L’impérialisme américain ne pouvait accepter qu’une dictature pourrie certes mais ayant son aval ait été éliminée sans son autorisation et qu’elle ait été remplacée par des dirigeants se disant amis de Castro, nouant des relations avec Cuba, de même qu’avec l’URSS, sans toutefois d’ailleurs quitter le Commonwealth.

Pour les dirigeants américains, traiter avec le nouveau régime de Grenade aurait pu être interprété comme l’acceptation, même contrainte, de voir se multiplier sur le continent américain, dans leur « arrière-cour », des régimes comme celui de Cuba ou du Nicaragua. Or s’ils ont été contraints de tolérer Cuba depuis 25 ans et le Nicaragua depuis quatre ans, ils ne tiennent pas à ce qu’on puisse croire ni que cela signifie qu’ils ont définitivement accepté cette situation de fait, ni qu’ils accepteraient que d’autres régimes semblables s’installent ailleurs dans l’Amérique latine.

A Cuba, ils avaient bien tenté une intervention militaire par exilés interposés, dans la Baie des Cochons, mais cela ne leur avait pas réussi. Au Nicaragua, ils organisent par l’intermédiaire de groupes oppositionnels des opérations militaires ponctuelles à caractère terroriste, en attendant peut-être de faire pire. Mais de fait, ils ont bien été obligés jusqu’à présent de tolérer l’un comme l’autre de ces régimes. Alors Grenade leur a fourni l’occasion de démontrer par une opération, moins coûteuse que s’il s’était agi de Cuba ou du Nicaragua, que les régimes qui veulent échapper à l’emprise américaine non seulement ne seront jamais pleinement acceptés, mais qu’ils restent sous la menace permanente d’une intervention armée américaine.

L’expédition contre Grenade, c’était un avertissement à Cuba et au Nicaragua, c’était un avertissement aux guerillas d’Amérique latine en action, ou à ceux qui rêvent d’y entrer, un avertissement destiné à décourager tous ceux qui, depuis d’autres îles des Caraïbes jusqu’à de vastes pays comme le Brésil, seraient tentés de se dresser contre l’impérialisme américain.

Il n’a pas fallu longtemps d’ailleurs pour que les USA récoltent ailleurs qu’à Grenade des fruits à leur expédition. A peine trois jours après, au Surinam (ex-Guyane hollandaise) où le chef de l’État, le général Bouterse, se déclarait pro-cubain et où depuis quelques mois une aide était fournie par La Havane, tous les diplomates, tous les conseillers et techniciens cubains étaient mis à la porte. »

Source : lutte ouvrière, novembre 1983

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