dimanche, février 14, 2016

CHALVET : 14 FÉVRIER 1974, UNE DATE DE L'HISTOIRE MARTINIQUAISE

Tableau: Claude Cauquil 
"Chalvet 1974" est à n'en pas douter; l'un des évènements les plus marquants dans la mémoire collective du monde agricole et des Martiniquais.

Le 13 février 1974, la capitale de la Martinique est paralysée par des grèves commencées depuis le 17 janvier et qui allaient encore se durcir car les négociations entre patrons et les ouvriers n'ont rien donné. La grogne gagnait plusieurs communes; Rivière Pilote, le Lamentin, le Robert et Gros Morne. Les employés du public, du privé, les ouvriers, tous faisaient entendre leurs revendications. Les gendarmes qui avaient pour rôle de maintenir l'ordre rencontraient partout de grandes difficultés. La tension était à son comble dans le pays et la moindre manifestation se soldait par l'intervention des policiers qui étaient régulièrement assaillis par des jets de pierres. Ils répondaient à coups de gaz lacrymogène.

C'est dans ce contexte de crispation que la tragédie du jeudi 14 février va se dérouler, ce jour là partout dans l'île des foyers de protestations se déclaraient, les autorités avaient décidé de mettre un terme à la révolte ouvrière. C'est ainsi que dans le milieu de la matinée, sur le plateau de Chalvet à Basse Pointe les ouvriers se sont retrouvés nez à nez avec les forces de l'ordre. Ces derniers n'ont pas hésité à utiliser leurs armes. Au cours de cette fusillade de nombreux blessés, un gendarme aura également la main tranchée, il y a un mort : llmany Sérier, dit Renor, 55 ans, père de famille nombreuse. L'émoi est considérable les gendarmes sont accusés de meurtre.

llmany Sérier est enterré le surlendemain au Lorrain. Des centaines de personnes défilent derrière les centrales syndicales, les mots d'ordre syndicaux sont remplacés par des cris de vengeance "Orsetti assassin", "llmany nous te vengerons" et par des slogans politiques "à bas la répression coloniale, songé l'Algérie, songé l'lndochine, Martinique lévé". Deux heures avant l'enterrement, le corps d'un jeune homme de 19 ans ,Marie Louise, est découvert sur une plage de Basse Pointe, non loin de Chalvet. Des dizaines d'habitants s'agglutinent autour du corps et très vite les témoignages laissent entendre que Marie Louise figurait dans un groupe impliqué dans un affrontement avec les policiers.

Il a fallut ces deux morts de ce mois de février pour mettre un terme à la grève puisque le protocole de fin de conflit est signé le 19 février avec les syndicats. La détermination des ouvriers a permis de remporter une grande victoire pour le monde agricole. Les circonstances de la mort de Marie Louise n'ont jamais été élucidées et jusqu'en octobre 1974, plusieurs des ouvriers agricoles ou indépendantistes ont été arrêtés par les gendarmes. Par exemple, Alex Ferdinand; professeur d'histoire, a fait plusieurs jours de prison. Il a été arrêté et poursuivi pour entrave à la liberté de travail et violences à agents. Les poursuites judiciaires se sont soldées par des peines de prison avec sursis que l'amnistie est venue effacer.

14 FEVRIER 1974 EN MARTINIQUE, LA TUERIE DE CHALVET AU LORRAIN

 Ilmany Sérier dit Renord
"Il y a 30 ans, deux ouvriers agricoles grévistes étaient assassinés à Chalvet au Lorrain En Martinique, le 14 et le 16 février 1974, étaient des journées noires.

Renord Ilmany, ouvrier agricole gréviste de 55 ans était assassiné par les gendarmes au lieu-dit Chalvet sur la commune de Basse-Pointe. Une embuscade avait été tendue contre les grévistes regroupés sur l’habitation Fonds Brulé au Lorrain. Une dizaine de camions de gendarmes poursuivaient les grévistes qui regagnaient en groupe la commune de Basse-Pointe. Un hélicoptère crachait sur eux des grenades lacrymogènes. C’est à ce moment que les ouvriers, accompagnés de jeunes militants, ont été pris en chasse par les gendarmes qui ont tiré. Plusieurs ont été blessés, Omer Cyrille, Guy Crétinoir, Rasroc, François Rosaz. Renord Ilmany est tué. Dans cette tuerie, un autre ouvrier trouvera la mort. Un jeune ouvrier maçon, gréviste, Georges Marie-Louise, sera retrouvé deux jours plus tard, gisant mort à l’embouchure de la rivière Capot également dans la commune du Lorrain, probablement après avoir été frappé à mort par les membres des forces de répression, gendarmes ou autres. La soldatesque s’était une fois encore déchaînée contre des travailleurs en grève pour défendre leur pain et leurs droits.

LA SITUATION SOCIALE EN 1974
La situation des classes laborieuses s’était dégradée. Dans les années 70, les dernières usines à sucre avaient cessé de fumer. Pour les possédants, les békés, la canne ne permettait plus de faire suffisamment de profits. Après avoir touché des millions de subventions de l’Etat, ils avaient fermé les usines à sucre et investi dans l’import-export. De grands super-marchés apparaissaient. Des masses d’ouvriers agricoles perdaient toutes ressources, surtout les plus âgés. Les plus jeunes avaient pu trouver un emploi dans le bâtiment ou sur les plantations de bananes qui avaient pris la place des champs de cannes.

Les années 70 sont aussi marquées par des hausses de prix importantes. Les capitalistes ont décidé de faire payer la crise du pétrole aux masses laborieuses. Le gouvernement français à leur service, fait marcher la planche à billet. Le passage au nouveau franc complique encore les choses pour les travailleurs et rend le coût de la vie de plus en plus élevé. Tout est cher: l’essence, les transports, les marchandises de première nécessité, huile, pain, farine, poisson. La misère s’installe dans les foyers des travailleurs. Parallèlement, on assiste à une recrudescence de l’arrogance des patrons, et de l’administration coloniale qui voudraient imposer à la population ce recul social. Alors, les escarmouches de type raciste se multiplient entre patrons békés et travailleurs et chômeurs. En Martinique, le Conseil Général dirigé par Emile Maurice et sa majorité de droite suit fidèlement cette politique.

LES TRAVAILLEURS NE SE LAISSENT PAS FAIRE
Dès la fin de l’année 1973, on assiste à une multiplication des conflits. Les travailleurs revendiquent des augmentations de salaire importantes pour compenser les hausses des prix. Ils refusent le saupoudrage et les miettes acceptées trop souvent par les directions syndicales.

Les salariés du journal France-Antilles dressés contre leur patron Hersant font grève depuis deux mois. Les ouvriers du Bâtiment sont à leur troisième semaine de grève illimitée. Ils exigent 25% d’augmentation sur leur salaire. Après le 28 décembre 1973, les salariés de l’ex-SPEDEM, aujourd’hui EDF Martinique, se préparaient eux aussi à rentrer en grève, suite à une entourloupette du préfet de l’époque, le dénommé Orsetti, qui renvoyait une négociation prévue sur leurs revendications à la fin du mois de janvier. Ils rentrent en grève non-limitée le 7 février. Lorsque l’administration décide début janvier d’augmenter le tarif des cantines, les collégiens des CET, fils et filles de travailleurs, vont eux aussi descendre dans les rues pour refuser les augmentations. Ils auront le soutien de leurs parents et de l’ensemble de la population et se trouveront bien souvent au coude à coude avec les grévistes, notamment ceux du bâtiment, dans les manifestations.

Les ouvriers agricoles eux aussi sont en grève depuis le 17 janvier 1974, pour des augmentations de salaire . Ils réclament notamment la suppression du SMAG qui est le salaire minimum garanti dans l’agriculture, plus bas que le SMIG et veulent un salaire de 35.46F pour huit heures de travail. Sur certaines plantations, ils sont aidés par de jeunes militants issus du mouvement nationaliste.

PRÉPARATION DE LA GRÉVE GÉNÉRALE DU 12 Février

Devant l’ampleur des mouvements sociaux, les directions syndicales de l’époque, la CGTM, la CGTT-FO, et CFTC ont lancé un mot d’ordre de grève générale illimitée à partir du 11 février. Elles ont mis sur pied une plate-forme de revendications en 12 points dont l’alignement du SMIC et les allocations familiales sur ceux de la France. Mais ces directions, apparaissaient plutôt timorée à beaucoup de travailleurs. Elles ne semblent pas prêtes à faire réellement du 12 février un succès pour arracher les revendications ouvrières, elles ne se montrent pas présentes aux côtés des grévistes.

Pourtant dans les secteurs en lutte, la détermination des travailleurs est grande et les grèves se sont radicalisées face à l’arrogance patronale (coupures d’électricité, débauchages sur les chantiers, riposte à coups de pierre aux interventions policières dans les manifestations).

Alors, des jeunes travailleurs, certains d’entre eux politisés, appelleront leurs camarades à prendre leur mouvement en main et à mettre en place des «comités de grève» pour garder le contrôle du mouvement jusqu’à la satisfaction des revendications. Et les travailleurs des secteurs en lutte se rejoignent à la Maison des Syndicats, ou encore dans les manifestations, lors des débauchages.

SUCCÈS DE LA GRÉVE DU 12 FÉVRIER ET DU 13 FÉVRIER
Le 12 février, environ 5000 travailleurs de tous les secteurs, se retrouvent dans les rues de Fort de France pour réclamer des augmentations de salaires, fustiger les patrons et le gouvernement. Les jeunes des collèges et des lycées sont également dans les rues. Fort de France est ville morte. En fin de journée, la grève est reconduite après une assemblée générale des travailleurs à Fort de France. Le lendemain, la situation est tendue. Après plus de deux mois de grève pour certains secteurs, l’heure n’est pas aux défilés-promenade. Des grévistes se répandent par petits groupes dans les rues de Fort de France. Ils obligent les magasins qui ont ouvert leurs portes à baisser les rideaux pour respecter la grève. Au soir du deuxième jour, la grève générale n’est pas arrêtée. Mais les directions syndicales tirent en arrière. Elles craignent d’être débordées par la base, trop déterminée. Les partis politiques tels le PCM ou le PPM, iront jusqu’à faire chorus avec l’administration en dénonçant dans leur presse ou dans des communiqués, les «agitateurs gauchistes» .

LA TUERIE DE CHALVET
C’est dans ce contexte, que la préfecture avec à sa tête le préfet Orsetti et à la demande du patronat de la SICABAM (organisation des planteurs békés de l’époque), décidera de mettre un coup d’arrêt sanglant à cette grande mobilisation ouvrière. C’est dans les champs de banane au Lorrain qu’ils frapperont.

Fin de la grève générale Choqués par l’assassinat d’un gréviste de l’agriculture, des masses de travailleurs, des grévistes, des politiciens, et aussi des gens «de tous les horizons sociaux», se regrouperont pour célébrer ses obsèques. Ils se retrouveront dans la même émotion au moment des obsèques du jeune Marie-Louise. La grève générale n’était plus à l’ordre du jour. La répression policière scélérate avait été orchestrée par les possédants et leur pouvoir pour casser le mouvement ouvrier.

Les mobilisations ouvrières continuèrent néanmoins plusieurs jours encore même si elle n’étaient plus aussi massives. C’était le cas des employés de l’entreprise Figuères chargée du ramassage des ordures ménagères à Fort de France, de ceux des boulangeries, ou des banques et des hôpitaux. Et le 19 février 1974, le quotidien France-Antilles qu’on ne pouvait soupçonner de quelconque sympathie pour les grévistes titrait encore «situation confuse sur le front social». Le 21 février 1974, un accord fut signé dans la banane. Les patrons bananiers acceptaient de payer la journée de travail de huit heures à 39.50F.

Avec leurs frères les plus exploités, les travailleurs de Martinique avaient fait reculer le patronat béké de l’agriculture. Dans d’autres secteurs, tels le bâtiment ou à la SPEDEM, des revendications importantes furent arrachées. Les patrons et tous ceux qui sont à leur service, leur avaient fait lourdement payer ces avancées. Cette page écrite du sang des ouvriers fait aujourd’hui partie de leur histoire et de leur quête de respect et de dignité pour une vie meilleure.

Source : Combat ouvrier N°898, édition de février 2004.

samedi, février 06, 2016

LAICUS, l’homme du peuple (laos), le commun CLERICUS, celui qui sait écrire, l’homme d’église



Il est intéressant de noter qu’au départ, il n’y a pas d’opposition philosophique entre le “laïc”, et le “clerc”, qui confessent l’un et l’autre en une même croyance dans une société qui, dans le sens moderne de ce terme, ignorait alors tout de la “laïcité”, mais une différence de compétence. Car au contraire du clerc qui possédait une connaissance lui permettant de d’admettre le fait de Dieu, le laïc sans instruction, ne possédait curieusement que sa “foi”.

Le terme laïc ne s’opposera au terme clerc que vers la fin d’un 19ème siècle de furieuse lutte anticléricale et où, à l’heure ou la république de Jules Ferry se chargeait de l’éducation des enfants, il désignera celui qui n’aura pas reçu d’éducation dans le cadre de l’église, et donc pas reçu d’éducation religieuse…

Cependant, la loi de séparation de l’église et de l’état de 1905, ne fait pas état de ce qui deviendra la “laïcité”, qui est une notion très française qu’ignorent la plupart des pays, comme la Grande Bretagne ou la Reine d’Angleterre se trouve à la tête de l’église anglicane, l’Allemagne où il existe encore le concordat, ou les Etats-Unis d’Amérique où le président prend ses fonctions en prêtant serment au dessus de la bible, et où se trouve inscrite sur les billets de la monnaie américaine la phrase, “in God we trust” ( nous croyons en Dieu).

La laïcité est donc une notion inconnue et dont l’acquiescement n’est absolument pas évident, pour la plupart des hommes qui relèvent d’autres cultures, parce que dans celles-ci, il n’existe encore “d’ascèse” établissant la “norme” comportementale, que religieuse. Ceci, parce qu’il ne s’est pas établi dans ces cultures, comme en France à la faveur des “lumières”, puis au cours et au-delà de la révolution, cet “accord” tacite quant aux nécessités sociales et aux obligations comportementales de chacun, dans une société de liberté de conscience, avant qu’elles ne soient traduites dans la loi, établissant ainsi une nouvelle forme de “convenance”. Celle-ci fut en fait issue d’un débat dégagé de tous les dogmes religieux et de toutes traditions étatiques selon lesquelles jusqu’ici, seuls les puissants inspiraient la loi, et qui allait constituer une véritable “ascèse républicaine”.

Ce n’est finalement que dans la constitution de la quatrième république qui en 1946, se substituait à “l’état français” de Philippe Pétain de triste mémoire, que la république fut proclamée laïque, démocrate, et sociale. Ceci, pour signifier clairement que plus aucune considération d’ordre religieux, ne devait interférer avec la conduite des affaires de l’état, et que tous les citoyens se trouvaient égaux devant la loi, quelle que soit leur pratique religieuse.

Il est clair que les persécutions au prétexte religieux qui eurent lieu au cours de la deuxième guerre mondiale, justifiaient pleinement cette proclamation haut et fort, de laïcité.

Mais, paradoxalement, en reconnaissant le droit à la pratique religieuse de chacun, l’état laïc allait se trouver dans l’obligation d’organiser les conditions de cette liberté de culte, et veiller à son respect, et n’allait pas tarder à se trouver en contradiction avec lui-même. Ceci, dans la mesure où, si elles furent écartées du pouvoir, les religions n’en pas moins continué de d’imposer à leurs ouailles des règles comportementales logiques de leurs doctrines et qui, dans la mesure où elles s’adressent à des collectivités, confinent fatalement à constituer des règles sociales dont la nocivité réside dans le fait qu’elles ne peuvent être partagées par tous, et ceci, au nom d’une liberté de culte qui leur est justement garantie par la laïcité elle-même…

Nous sommes là dans le même schéma selon lequel les fondamentalistes religieux se hissent au pouvoir à la faveur de la démocratie, de sorte que leur légitimité à exercer ce pouvoir leur est incontestable, et qui l’utilisent afin de mettre justement fin à cette démocratie.

La désertion des églises allait éviter pendant quelques temps à cette contradiction de prendre trop d’ampleur. Mais l’arrivée ces dernières années du fondamentalisme religieux, qui consiste en un détournement des exigences religieuses et une exploitation outrancière de celles-ci, afin de parvenir à un résultat politique, va réactualiser le débat…

Aujourd’hui, la laïcité se trouve menacée sur deux fronts. Celui des fondamentalistes religieux qui prétendent imposer des règles sociales selon leur doctrine, ce que la laïcité leur interdit, mais au nom d’une liberté de culte garantie par cette même laïcité. Mais, il y a également le front de ceux que l’on désigne désormais comme étant les “laïcards” qui quant à eux, s’inscrivent dans une sorte de fondamentalisme passionnel parfaitement symétrique à celui des religieux et qui, dans une interprétation outrancière de l’idée de laïcité, ne se contentent pas de contenir la religion hors des affaires de l’état, mais prétendent dégager toute idée religieuse de la société tout entière, et abolir toute tradition qui serait issue même lointainement, de la pratique religieuse.

Ceci, au point de s’en prendre au fait d’un sapin de Noël ou d’une statue de la vierge dans un lieu public, du maintien dans le calendrier d’une fête religieuse, ou d’une galette des rois dans une cantine, alors qu’il s’agit là des éléments fondamentaux d’une culture qui s’est constituée justement autour d’une religion, mais qui se trouvent désormais dans un usage civil de plus en plus dégagé de leur références religieuses, et qui ne constituent en aucune façon une règle sociale à laquelle tous seraient tenus de s’obliger…

Ce détournement de l’esprit de la laïcité par les laïcards aura eu comme conséquence inattendue et extrêmement dommageable le fait que, des fondamentalistes tenant de religions différentes de la religion dominante, se sont très opportunément revêtus des mêmes habits que ces laïcards, en utilisant leur argumentaire de néant religieux. Ceci, afin de pouvoir combattre dans un premier temps, dans tous ses aspects devenus traditionnels, la religion la plus ancrée dans le pays et qui fait obstacle à leur projet, pour ensuite imposer sur un terrain rendu vierge, leurs règles dans les différents aspects de la vie sociale pour les uns, ou s’imposer à tous au nom de leur religion les faisant seigneurs sur cette Terre, pour les autres…

Si donc on en parle tant en ce moment, c’est tout simplement parce que la laïcité est devenue le paravent derrière lequel se jouent de féroces luttes pour le pouvoir…

Paris, le 6 février 2016
Richard Pulvar